Comme en témoigne l'oppidum de la Granède, site de fouilles archéologiques, Millau est née il y a près de 3000 ans à l'abri des falaises du Larzac. C'est au Ier siècle avant notre ère qu'une agglomération se forme à la confluence du Tarn et de la Dourbie, dans la plaine alluviale, et devient une ville-marché : Condatomagos, nom gaulois composé de condatos (confluent) et magos (ville, marché). Rutènes et Méditerranéens y échangent leurs productions, laines et fromages, huile et vin.
Condatomagos passe sous influence romaine et se spécialise rapidement dans la confection de céramiques sigillées, vaisselle de table en terre cuite rouge inspirée des vases transalpins. Le site gallo-romain de la Graufesenque, qui a abrité plus de cinq cents ateliers de potiers, témoigne de ce premier âge d'or industriel.
Jusqu'au milieu du IIe siècle, la vaisselle sigillée s'exporte dans tout l'Empire romain, de l'Ecosse au Maroc, de l'Espagne au Moyen Orient. Puis la prospérité de ce commerce s'estompe et Condatomagos amorce son déclin. Son nom s'efface des tablettes au Bas Empire : elle devient Amiliavum, d'après semble-t-il l'une des premières familles patriciennes de la cité.
En 1112, le domaine de Millau, vicomté important dans le Midi, se détache du comté du Rouergue et rallie un ensemble puissant formé par l'Aragon, la Catalogne, la Provence, le Gévaudan et Montpellier. C'est le mariage de Douce Ier, héritière des derniers vicomtes millavois, avec le comte de Barcelone Raymond-Béranger III, qui entérine ce changement d'influence. Amelhau, tel est alors le nom de cette ville marchande en pleine expansion, passe ensuite sous l'autorité de la couronne d'Aragon.
En 1183 puis 1187, Millau obtient des rois d'Aragon ses privilèges et devient consulat. La charte de coutume acte l'autonomie politique et les libertés urbaines de la cité. « Je veux que tout homme qui viendra habiter la ville de Millau soit libre en toute sa vie... J'accorde volontiers et je veux qu'il soit établi un consulat à Millau » : ainsi est rédigée, sur parchemin, la première charte des privilèges établie par Sanche, frère du roi d'Aragon et comte de Provence. La fidélité de la ville à la couronne aragonaise est la condition de cette autonomie. En 1187, Alphonse II d'Aragon confirme l'institution du consulat. Ainsi est attribué à la ville son blason, quatre pals rouges sur fond d'or aux couleurs d'Aragon.
C'est du XIIe siècle que date la construction de la tour carrée, palais d'Alphonse II, qui deviendra au XVIIe la base du beffroi de Millau.
La domination aragonaise, après maintes péripéties dont le siège de Millau en 1237 par le comte de Toulouse, prend fin avec l'annexion de la ville au royaume de France en 1271.
Au XIVe siècle, la ville n'est pas épargnée par les famines, la peste noire et la guerre en Europe. Comme tout le Rouergue, elle passe sous domination anglaise en 1360 (traité de Brétigny), entre dans la principauté d'Aquitaine, avant de réintégrer le domaine royal en 1370. Elle redevient ville-marché puisqu'à la fin de l'époque médiévale (1437), ses foires annuelles (du Carême, du 6 mai) sont fréquentées par les marchands du Languedoc, du Roussillon, de l'Espagne. La cité produit des draps depuis le XVe siècle.
A partir de 1562, Millau s'impose comme une place forte du calvinisme méridional. Les idées de la Réforme et les prêches des missionnaires cévenols ont commencé, dès 1558, à séduire les notables de la ville. Dès le début de la première guerre de Religion, les fortifications médiévales sont reconstruites, transformant Millau en citadelle. La gestion de la ville semble alors toute consacrée aux affaires militaires.
« L'Edit de pacification de 1576 ne peut rien changer au caractère tout protestant de Millau, ville forte, écrit l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie. Dès 1573, un collège de tendance huguenote y était fondé ». La même année, les Etats généraux protestants se tiennent à Millau, rassemblant des villes et bourgs languedociens, cévenols, ainsi que quelques députés du pays d'Oïl. Pendant les guerres de Rohan (1620-1629), du nom du duc commandant le parti protestant en Languedoc, Millau est un point d'appui stratégique du soulèvement huguenot dans le Sud.
Après l'édit d'Alès en 1629, les huguenots doivent se replier, des familles de notables millavois sont contraintes à l'exil. Face aux dragonnades en Rouergue, les protestants de Millau abjurent collectivement en 1685 dans l'église Notre-Dame.
Les guerres de religion ont été pour la ville « un temps fort calamiteux et misérable », écrit le « calviniste de Millau » dans ses Mémoires.
Le XVIIIe siècle, porteur des idéaux de liberté, et la Révolution française favorisent le retour à Millau de familles huguenotes exilées, ainsi que l'accession des protestants aux affaires politiques. Des mégissiers, médecins, juristes et agronomes millavois contribuent activement à la rédaction des cahiers de doléances et la mise en place des nouvelles municipalités.
Une bourgeoisie protestante va émerger, qui se distingue aussi bien de l'aristocratie en place (Bonald, Sambucy, de Pégayrolles) que de la majorité des habitants, petits artisans et ouvriers dans les cuirs et peaux. C'est une sous-préfecture peu turbulente, conciliant le sens du commerce de son patronat et le savoir-faire de ses ouvriers, qui prospère et s'agrandit sous la Restauration.
« Tout le monde est gantier à Millau, on est gantier de père en fils : gamins, gamines, dès leur enfance ont assisté à domicile au travail de couture du gant ou ont accompagné leurs parents à l'usine », écrit Paul Marres dans sa thèse sur Les Grands Causses en 1935. Si les premiers artisans mégissiers de Millau apparaissent au Moyen Âge, les cuirs et peaux connaissent leur âge d'or à l'ère industrielle. Mégisserie, tannerie, chamoiserie, ganterie sont une seconde peau pour Millau, qui dès la fin du XIXe siècle s'impose comme « la cité du gant ».
La sous-préfecture aveyronnaise prospère à la cadence du secteur des cuirs et peaux. Du coupeur-gantier à la brodeuse de gants, les manufactures assurent la subsistance de nombreuses familles, qui travaillent en atelier ou à domicile. A elle seule, la ganterie fait vivre 12 000 à 15 000 habitants du pays millavois dans les années 1930. Peu avant la seconde guerre mondiale, la production atteint 312 000 douzaines de paires, dont 60% promises à l'exportation. Les « grandes maisons » de fabricants sont alors Buscarlet, Jonquet, Guibert frères et Lauret.
Du 24 décembre 1934 au 5 mai 1935, a lieu la grève générale des ouvriers gantiers, mouvement syndical mémorable de l'histoire industrielle de Millau. Le krach boursier de 1929 a progressivement malmené le marché du gant. Dans ce contexte, conjugué à la faillite de la banque millavoise Villa en juin 1934, le patronat local décide sans négociation de baisser les salaires de 25% à 33%. Commence alors, impulsée par la Fédération ouvrière millavoise, une grève massive. Le conflit durcit, marqué tant par des incidents comme l'intervention de gardes mobiles, que par des initiatives de solidarité : ainsi des soupes populaires organisées, durant l'hiver, par le comité de grève avec l'appui de la mairie radicale. La grève se soldera sur un échec, la reprise du travail votée par référendum s'accompagnant d'une diminution des salaires. En mai 1935, un an avant l'avènement du Front populaire.
« Gardarem lo Larzac » : ce slogan condense dix années d'une contestation qui va mobiliser Millau et le causse larzacien à partir de 1971. La résistance des paysans du Larzac face au projet d'extension du camp militaire de La Cavalerie va recueillir un écho international. Elle demeure un emblème de la stratégie de non-violence, du refus de l'arbitraire du pouvoir, de la défense d'une terre et d'un pays. Ces dix ans de lutte ont tissé des réseaux de solidarité par-delà les méridiens, entre les paysans du Larzac et la Kanaky par exemple.
En octobre 1971, le ministre des Armées annonce sa décision d'étendre la superficie du camp militaire de 3000 à 17000 ha. 103 agriculteurs du Larzac, terre d'élevage ovin, sont menacés d'expropriation. En novembre à Millau, 6000 personnes manifestent leur soutien aux paysans. La contestation larzacienne a commencé.
Elle sera émaillée d'épisodes et d'initiatives à la résonance symbolique forte. Les soixante brebis larzaciennes sur le Champ de Mars à Paris en 1972 ; le renvoi des livrets militaires au Ministère des Armées ; la construction d'une bergerie illégale à la Blaquière ; les deux grands rassemblements au Rajal del Gorp, 80 000 personnes en 1973 et 103 000 en 1974 pour la fête des Moissons ; la destruction d'archives foncières du camp par 22 paysans ayant pénétré dans un bâtiment militaire, en 1976. Ainsi que la marche des Larzaciens sur Paris en 1978.
En juin 1981, les paysans récoltent les fruits de leur persévérance. François Mitterrand, élu à la présidence de la République un mois auparavant, annule le projet d'extension du camp.
Au long des années qui suivent, le Larzac reste fidèle à ses valeurs : la souveraineté alimentaire, la défense de la production fermière, l'opposition au brevetage du vivant. Valeurs qui, en 2000, font de Millau une ville-emblème de l'altermondialisation. Le 30 juin, près de 100 000 personnes viennent soutenir dix paysans, dont José Bové, jugés pour le « démontage » d'un fast-food en chantier l'été précédent. Et en août 2003, ce sont 200 000 personnes qui affluent sur le causse du Larzac pour défendre un monde solidaire et contester l'Organisation mondiale du commerce. Deux rassemblements mémorables.
Le viaduc de Millau, dessiné par l'architecte Norman Foster, est inauguré le 14 décembre 2004 par le président de la République Jacques Chirac. Reliant le causse Rouge au causse du Larzac, surplombant la vallée du Tarn, ce pont à haubans possède l'ensemble pile-pylône le plus haut du monde : 343m. Ouvrage emblématique de l'A75, il parachève le contournement autoroutier de Millau, sur l'itinéraire Clermont-Pézenas. Joyau architectural, prouesse technique, le Viaduc de Millau ne tarde pas à rallier des millions de visiteurs.
C'est, ainsi, sous le double signe de la modernité et du désenclavement que commence le XXIe siècle pour Millau. Une modernité en symbiose avec la tradition, celle des cuirs et peaux par exemple que plusieurs maisons, en jouant la carte « luxe », s'attachent à conforter. Un désenclavement qui rapproche Millau de Montpellier tout en la préservant d'une « absorption » par l'agglomération languedocienne.
Millau cultive son caractère singulier, ville moyenne au coeur d'un environnement préservé. Une ville au présent, en phase avec les aspirations de ses contemporains à une vraie qualité de vie. Avec les activités familiales de pleine nature, la pratique croissante des sports outdoor (escalade, parapente, canyoning...) et l'engouement suscité par le Viaduc, elle creuse aujourd'hui le sillon du tourisme vert. Dans une attention constante au développement durable.