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CONCOURS AU GOAL-AVERAGE

 

C’était dans les années 70.  Je travaillais en Ile-de-France, et comme c’était mercredi j’avais décidé d’aller faire un tour à Paris. Je marchais sur les grands boulevards, quand, par  plus grand des hasards,  je me retrouvai nez à nez avec  Gérard. Gérard était un copain de lycée, car nous avions été pensionnaires durant plusieurs années,  jusqu’au baccalauréat. Nous étudiions dans la même section, mais  nous étions dans des classes parallèles, sauf  durant toutes les études, où, pendant  toutes ces années, nous partagions la même table. Après avoir dit tout ce que l’on peut dire dans cette situation il me dit :

-« Tu te rappelles où habitent mes parents ?

- Bien sûr !

-Alors je t’attends le samedi 17 juillet car c’est la fête et nous pourrons passer une journée ensemble ».

Les mois passèrent et  le jour attendu, j’arrivai dans son village. En fait,  c’était un gros bourg à une centaine de kilomètres de la mer. Sans trop de difficultés et avec l’aide d’une grand’mère qui était sur le pas de sa porte,  je retrouvais la maison de ses parents.

Donc, nouvelles retrouvailles avec tout le monde. Le repas était bien entendu, un repas de fête et alors que le dessert approchait il me dit :

- « Tu joues toujours à la pétanque ?

- Oui quelquefois mais  je ne  suis pas très bon.

- Ce n’est pas grave nous allons faire le concours de la fête ».

L’île flottante avalée avec regrets, car il en restait beaucoup, je récupérai ma triplette de boules et nous partîmes vers la place du village où le concours se jouait. C’était une grande place d’une centaine de mètres de long sur une quarantaine de large, arborée par des platanes séculaires et dont le sol était composé de terre battue et de cailloux. Cette place grouillait littéralement de joueurs. Juste avant d’arriver mon collègue me dit :

« -Je vais nous inscrire.

-Non, moi, je vais y aller.

-Non, non,  ici, c’est moi qui m’occupe de tout ».

Et il partit nous inscrire ; cela dura au moins vingt minutes, cela faisait beaucoup de temps pour une inscription à un concours de fête. Quand il revint il arborait sur sa chemisette le n°104. C’était normal, car il y avait des joueurs partout. Je vis des têtes que j’avais déjà vues dans de gros concours (il n’y avait pas encore de nationaux) ; certains joueurs avaient une notoriété régionale, et quelques uns avaient participé avec plus ou moins de succès plusieurs  fois au championnat de France. Je lui dis :

-« Tu es sûr que c’est un concours de fête ? Moi, je n’ai rien à faire ici, et pourquoi y a-t-il autan de monde et tous ces gros calibres ici ?

–Tu vois, ici, tout est au bout,  pour les deux finalistes, outre les coupes, ils se partagent l’équivalent d’un mois et demi de petit salaire ».

Il me cita en les désignant du doigt des noms connus, des « fracasseurs » de boules, et désignant deux joueurs au teint buriné par le soleil, en pantalon sale et chemise qui avait été blanche il y a bien longtemps, il ajouta :

«-Ces deux, ce sont des aviateurs !

-Des aviateurs ? 

-Je les imaginais habillés différemment, tu en es sûr ?

–Absolument !

- « Ils ressemblent plus à des.. .

– Bien sûr, mais ce sont des aviateurs. Comment le sais-tu ?

- On les appelle  « aviateurs » parce qu’ils volent !

Le jeu de mots était superbe, et imagé, mais la réalité atroce.

Nous jetâmes des boules pendant un bon moment et enfin, l’organisateur du concours, monta sur le podium, demanda à l’assistance de se rapprocher et annonça :

«- Mesdames, messieurs, le concours va commencer. Pour que tout le monde puisse jouer durant toute l’après-midi, il se déroulera en poules de cinq et le vainqueur sera celui qui aura gagné quatre parties.
Comme il risque d’y avoir  des ex aequo, c’est celui qui aura encaissé le moins de points qui sera déclaré vainqueur. Cela me paraissait intéressant, judicieux et honnête. Le concours commença. Il tirerait et moi, je pointerais.

Première partie nous « tombons »sur deux papis sexagénaires dont les boules quadrillées et rouillées ne sortaient qu’une fois par an, le jour de la fête. Mon collègue me dit de ne pas faire de sentiment car c’était le goal average  qui comptait. Nous gagnâmes sans gloire sur le score de 13 à 0.

Deuxième partie, par un hasard incroyable, nous tombons à nouveau sur une équipe de  « morts de faim » qui jouait avec des boules dépareillées (à cette époque, les boules se vendaient par paires et non par triplettes), et nous gagnons 13 à1. A ce moment je commençais à y croire un peu et je contemplais la magnifique coupe qui trônait sur le podium,; car, il y des années, la coupe était importante. La partie ayant été vite expédiée, j’allais  regarder les « cracs », ceux qui faisaient rêver ; presque tous étaient tombés sur des joueurs de talent, et les scores se tenaient: 10à 9, 11 à12, 7 à 10…C’était intéressant pour nous, d’autant que la partie précédente ils avaient tous gagnés sur des scores très serrés.

Troisième partie, là aussi, nous rencontrons une équipe de braves papis qu’un de mes collègues de boules actuel, aurait qualifiés de « pompe à vélo ». Les pauvres ils ne savaient pas jouer. La partie dura un quart d’heure et le score  fut de13 à 0. Là, c’était sûr, nous étions premier, puisque toutes les autres équipes bataillaient ferme.

Quatrième partie, par un hasard absolument incroyable et impossible à croire, nous rencontrons une quatrième équipe  de papis. S’il y en avait quatre dans le concours, nous les avions rencontrées toutes. La probabilité était un peu comme au loto, et là non seulement nous aurions eu les six numéros, mais le complémentaire en plus. Nous gagnâmes13 à 1. Nous étions donc, mathématiquement premiers et loin devant le second.   J’en profitais pour aller voir, à droite et à gauche de bonnes parties, et surtout demander le score, et à chaque fois cela me réconfortait dans l’idée que je me faisais du classement.

Par contre, quand la partie était finie, pas d’embrouilles. Les bons, et ils étaient nombreux,  discutaient posément avec leurs adversaires, de la partie sans doute, et ça se terminait immanquablement à la buvette où le vainqueur payait « le coup à boire » au perdant. En voyant cela j’avais un peu honte, de ce que nous avions fait. Je me disais   « Ah ces braves gens, quel « fair play »  quelle tolérance, quel bel esprit, et quelle générosité (une tournée payée par partie gagnée), ça change des embrouilles des concours officiels   ! »

Enfin, après un très long temps d’attente, le président annonça les résultats. Les fesses me piquaient sur la chaise, tant j’étais impatient  d’aller chercher cette magnifique coupe, alors que dans un concours en poules ou autre, nous n’aurions jamais passé la troisième partie. Mon cœur battait la chamade .Il déclara: « les vainqueurs de ce concours sont…( j’étais prêt à bondir) …Machin Chose et Machin Chouette ». Je reçus cette annonce comme un coup de maillet sur la tête, et je retombai sur mon siège, complètement déboussolé. J’avais vu une partie de ces joueurs où ils menaient 12 à 11, comment pouvaient-ils être premiers, sans compter les points qu’ils avaient encaissés les parties précédentes. Nous n’étions ni second ni troisièmes, nous finîmes vingt-troisièmes. Il y avait manifestement quelque chose que je n’avais pas compris. Bon, pas grave.

La journée se finit sur d’autres types de propos, un bon repas et je repartis.

Quatre années s’écoulèrent et alors que je revenais de vacances je vis à proximité d’un bourg, ce type d’affiche :  « x en fête ». C’était le village de mon copain. Des drapeaux  flottaient à l’entrée du village et des rampes lumineuses n’attendaient que le soir pour  illuminer la nuit. Je décidais d’y faire un tour pour boire un rafraîchissement. Je me garais non loin de la place et finis le chemin à pied. Il y avait un concours de pétanque sur la place, et c’était lundi, pas samedi.   Par contre, là, il n’y avait pas cent dix équipes, mais tout au plus une trentaine, et de vrais joueurs de fête : des papis, des couples, des vacanciers, des enfants …Je m’assis à un guéridon et engageais la conversation avec un joueur d’une cinquantaine d’années qui buvait lui aussi . Avec une naïveté de faussé  je lui demandais :

« - Les années passées, il n’y avait pas un beau concours, ici ? » Sa réponse m’apprit que j’avais touché un point sensible.

« -Malheureux, n’en parlez pas, c’est allé, jusqu’au Conseil Général.

– Jusqu’au Conseil Général, et pourquoi ?

- Comme le Conseil Général donnait des cadeaux et qu’il y avait des magouilles certains s’en sont plaints.

– Quelles magouilles ?

– Et bien comme, d’une part,  il fallait avoir gagné  quatre parties, et d’autre part, que tous les prix étaient aux finalistes, ceux qui avaient perdus même une partie, n’avaient plus aucune chance. Mais celui qui en avait gagné quatre, et, s’il avait encaissé beaucoup de points, ne pouvait pas lui aussi gagner. Alors, la partie finie, ils disaient aux perdants : pour toi,  c’est cuit,  tu ne peux pas gagner, et moi, ce n’est pas sûr, alors tu dis que tu as perdu 13 à 0, et nous te payons un coup à boire ; et comme la plupart des équipes ont fait ça, il y a eu plus de cinquante « fanny » et beaucoup d’histoires entre des équipes après le concours ».

Quel naïf que j’étais ! Là où je voyais fair play, gentillesse et générosité, ce n’était, en fait que des tractations mafieuses pour s’emparer du magot. Je croyais cependant avoir tout compris ; mais, il m’acheva sans le savoir.

– « Et il y a mieux que ça, certains du village, pour pouvoir gagner, s’étaient mis d’accord avec leurs copains  organisateurs, pour avoir un tirage qui ne leur fasse rencontrer que des équipes nulles, et ça aussi ; ça s’est su.

– Vous croyez ?

- Oh, oui ! »

Le temps interminable qu’avait nécessité l’inscription, pour mon partenaire, son « ici, je m’occupe de tout », ainsi que la nullité des équipes que nous avions rencontrées, ne pouvaient être que le fruit du hasard. Avant qu’il ne me demande comment j’avais connu le concours, je finis ma consommation, le saluais, et quittais les terrains de jeu.

Je croyais que je n’entendrai plus parler des concours au goal average. Quarante après, je participais à une compétition très bien dotée où seuls les vainqueurs  étaient  récompensés  d’un très beau séjour .En ramenant  la fiche de jeu à la table de marque, le  graphiqueur me demanda le score, car c’était au goal average.

Vous ne pouvez imaginer le fair play de quantité d’équipes qui payaient un coup à boire aux malheureux perdants, et le nombre de « fanny » ou de 13 à 1 qu’il y eut,  et surtout, bien sûr, les commentaires qui suivirent...

Bernard BONNES (notre "Marcel Pagnol" de l'Association)

 

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